Il y a dix ans, le séisme ''The Decision'' terminait une semaine folle et explosait la NBA

Le 8 juillet 2010, LeBron James a explosé tout le paysage de la NBA en rejoignant la Floride. Récit d'une semaine à part dans l'histoire de la grande ligue.

Nous sommes le 8 juillet 2010. Le meilleur joueur de la ligue est présent à Greenwich dans le Connecticut, assis sur une chaise de producteur, sur le podium mis en place pour l'occasion, face à Jim Gray. Il est 21h28 très exactement et la réponse tant attendue est donnée par le double MVP : 

 

In this fall... this is very tough... in this fall I'm going to take my talents to South Beach and join the Miami Heat. I feel like it's going to give me the best opportunity to win and to win for multiple years, and not only just to win in the regular season or just to win five games in a row or three games in a row, I want to be able to win championships. And I feel like I can compete down there.

 

Mais revenons tout d'abord quelques temps en arrière. Depuis 2003, "l'élu" fait les beaux jours de la franchise de l'Ohio. Les Cavaliers sont une équipe performante avec l'ailier comme seul très gros joueur mais malgré des saisons régulières plus solides les unes que les autres, ils n'arrivent pas à passer le cap des finales de conférence et lorsqu'ils le font, c'est pour se faire sweeper en finale NBA par des Spurs au top de leur forme. Les Cavaliers sont trop bons pour drafter haut mais aussi trop mauvais pour être une équipe visant réellement le titre NBA. Et ce sentiment de battement entre deux zones commence à énerver LeBron James qui ne voit qu'un front office incapable de lui apporter de l'aide. Après une énième défaite en finale de conférence, cette fois face à des Celtics en route vers la finale NBA, et ce malgré 27 points, 9 rebonds et 7 passes du natif de Akron, la question est désormais sur toutes les bouches: LeBron James va-t-il quitter sa franchise de toujours pour aller tenter de gagner un titre ailleurs ? 

 

 

Le fait de souhaiter partir peut être compréhensible. Mais ce qui va poser problème et inquiéter les fans de Cleveland, c'est le fait que LeBron James et ses amis (Carmelo Anthony, Dwyane Wade et dans une moindre mesure Chris Bosh) se sont arrangés dès la draft 2003, mais surtout l'été 2006, pour viser une free-agency où ils étaient tous libres, pouvant potentiellement se réunir quelque part. Le second fait, et celui qui posera le plus problème, c'est la manière de donner sa décision, celle qui le poursuivra toute sa carrière... 

 

 

Dès le 1er juillet 2010, c'est officiel, LeBron James est free-agent (libre de signer où il le souhaite). De manière très logique, de nombreuses équipes se posent déjà en prétendantes pour l'accueillir et lui font les yeux doux pour attirer son regard tel un jeune homme devant une belle et jolie jeune demoiselle. Les principales équipes possibles se posent très rapidement avec les Knicks, les Nets, les Clippers, les Bulls, le Heat et bien évidemment les Cavaliers... soit que des gros marchés, excepté son équipe de l'époque. Malgré l'envie de chacun, seuls les Nets, Knicks, Bulls et Heat ont la possibilité de signer deux gros contrats minimums, permettant ainsi à LeBron de venir accompagné. 

 

Car le destin de James ne concerne pas seulement sa personne, mais bien l'entièreté de la NBA. Malgré une liste pléthorique d'agents libres disponibles (Stoudemire, Boozer, Nowitzki, Wade, Bosh, Anthony, Lee, Pierce, Allen...) personne ne bougera tant que le King n'a pas pris sa décision, amenant un effet domino impressionant. Personne ? Pas exactement, étant donné que l'ex Sun, Amar'e Stoudemire a fait le choix de rejoindre les Knicks avant la décision du joueur des Cavaliers. Mais aucun autre joueur n'a souhaité prendre de risque (cas spécial pour Chris Bosh), étant donné la possibilité de modification inconsidérable du paysage NBA avec la décision de l'ailier. 

 

 

Brian Windhorst raconte d'ailleurs parfaitement l'ampleur et la dimension qu'a pris le recrutement monstrueux de l'ailier :

 

LeBron avait prévu des rendez-vous avec les équipes cette première semaine de juillet, dans un bureau à Cleveland. Dans le batiment en question, il y avait un petit café près de l'ascenceur avec quatre petites tables. J'ai négocié avec la propriétaire pour m'y installer afin de voir qui venait et comment. 

Les premiers à arriver étaient les Nets. Prokhorov (tout récent nouveau propriétaire, ndlr), ses 2m03 et son costume hors de prix, Rod Thorn (le GM de l'époque, ndlr), Avery Johnson, Jay-Z (très proche ami de LeBron James) et tout une clique impressionante. Ils sont restés quelques heures à parler puis Jay-Z est resté seul avec LeBron, faisant jouer son amitié malgré le fait que les Nets soient encore à New Jersey, ce qui était un frein à la venue du King. Dès la sortie du rappeur, les Knicks sont arrivés. Le tout était tellement proche qu'ils se sont forcément croisés dans le parking. Mais l'équipe des Knicks ayant fait le déplacement était ridicule par rapport aux Nets. Pas de Dolan, pas de Gm (qui était gravement malade/blessé) et pas de quoi impressionner LeBron

 

Mais LeBron James n'était pas le seul à bouger ses pions pour voir les mouvements de chacun : 

 

Et pendant tout ce temps, Wade et Bosh s'étaient donnés rendez-vous à Chicago pour parler avec les Bulls. Alors ces derniers n'ont pas sorti le grand jeu pour Wade, persuadés qu'il ne quitterait pas Miami et même qu'il pourrait lâcher des infos dès son retour en Floride. Mais pour le Raptor, tout était déballé de manière grandiose, espérant que celui-ci soit le premier domino en attendant peut-être James. Et pendant ce temps, au même endroit, le Heat préparait ses interviews... déballant notamment les bagues de Riley afin de jouer les gros arguments devant Bosh, tout en disant que 3 superstars c'est mieux que 2 (Wade étant déjà dans l'équipe, les deux contrats maxs ne le comptaient plus, ndlr) Riley sort principalement sa bague de 2006, regarde Bosh et lui offre en lui annonçant qu'il pourra lui rendre quand il en aura gagné une (il ne lui a d'ailleurs jamais rendu, ndlr). Malgré cela, les Bulls étaient sûr et certains que Bosh allaient les rejoindre. Mais les Nets de leur côté n'ont rien lâché, faisant le trajet (sans Jay-Z) jusqu'à Chicago en jet pour rencontrer Bosh dès la fin du meeting avec James. 

 

Malgré tous ces mouvements, Avery Johnson, coach des Nets à l'époque, ressentait déjà que les 3 allaient jouer ensemble, et que ça ne serait pas à New York (ou New Jersey). Restait donc 2 (voire 3 si on compte Cleveland) possibilités. 

 

Ainsi Miami fait le chemin en direction de Cleveland pour parler avec LeBron lors du deuxième jour. Wade disant qu'il n'avait jamais vu Pat Riley aussi stressé.Le Heat se présente donc 45 minutes en avance avec l'équipe au complet : Pat Riley, la famille Harrisson, Andy Elisburg, Alonzo Mourning et Erik Spoelstra. (Seule équipe présente au meeting n'ayant pas changé en 10 ans, ndlr). Et de manière assez surprenante pendant ce temps, Wade demanda à revoir les Bulls, qui ont ainsi espérer s'être trompé, tout en visualisant une équipe démentielle: Derrick Rose, Dwyane Wade, Taj Gibson, Chris Bosh, Joachim Noah. Cette fois, les Bulls lâchent le gros discours, lâchant le tout à Wade qui n'a qu'une question: Pouvez-vous ramener une troisième personne à Chicago ? Wade ramène donc la stratégie du Heat, à Chicago ! Et c'est le gros moment de l'histoire de la NBA ! Les Bulls ont anticipé depuis plusieurs mois pour 2 gros joueurs... pas pour 3. Les Bulls n'avaient pas encore rencontré James mais savaient qu'il y avait une ouverture. La solution ? Ils devaient transférer Luol Deng qui avait un contrat de 48 Millions sur 4 ans et Jerry Reinsdorf a tout essayé, passant notamment par les Clippers qui ont refusé le trade. Le rêve des Bulls de voir un cinq majeur incroyable avec Rose, Wade, James, Bosh et Noah était tout proche. Mais en plus du manque de place dans le cap et de la présence de Deng (pouvant aussi être transféré via sign and trade chez les Cavs, Raptors ou Heat), la présence de Noah posait probablement soucis, étant donné que lui et James ne s'appréciait pas depuis l'épisode de décembre 2009 où Noah avait insultait James plusieurs fois de "b****". Plus encore, Rose ne semblait pas totalement enjoué à voir tant de joueurs ayant besoin de la balle, venir dans son équipe. Il n'a quasiment pas participé au processus de recrutement.

 

 

Peut-être que James n'avait aucune intention de rejoindre les Bulls et Wade de quitter Miami, mais les taureaux n'étaient pas loin.

D'autant que pendant ce temps, les Cavs toujours dans l'espoir de garder James, lui ont demandé de convaincre Bosh de venir à Cleveland. Un échange était envisagé entre le dino et Anderson Varejao, plus en odeur de sainteté dans l'Ohio. Une trade que James a refusé, justifiant qu'il ne connaissait pas Bosh si bien que cela. 

 

Le dimanche 4 juillet, tous les meetings étaient donc terminés, permettant au trio de se téléphoner pour prendre une décision. Toujours d'après le journaliste d'ESPN, c'est à ce jour que James a pris la décision de ne pas rester à Cleveland, étant donné que Bosh ne souhaitait pas l'y rejoindre. Ainsi, Miami et Chicago étaient les deux dernières équipes restantes dans la course. Miami avait la place et des avantages certains comme les taxes et la météo alors que Chicago avait encore du travail à faire pour ne serait-ce que espérer pouvoir recruter le trio. Ainsi, ce dimanche 4 juillet, les trois joueurs se seraient mis d'accord pour jouer ensemble au Heat. Mais malgré cela, James ne donnait pas signe de vie, souhaitant toujours réfléchir complètement à cette décision fondamentale. Même les appels de son ami Wade restaient sans réponse. Ce manque de communication et cette coupure du monde a inquiété de nombreuses personnes, le Heat et Wade en tête, plus surs de rien concernant la décision de Lebron James.

 

C'est alors que, la veille de The Decision, et malgré le fait que personne ne savait encore ce que James allait faire en dehors de lui même, Chris Bosh annonçait qu'il rejoignait Dwyane Wade à Miami, lançant les hostilités. 

 

 

 

 

Et nous voici au 8 juillet 2010, ça y est. C'est le grand jour. Et même les stars mondiales sont au rendez-vous, se moquant de la prédominance de cette décision sur le monde du sport. 

 

 

La soirée est prévue à 21h et peu importe la décision finale, l'idée de faire une soirée en antenne nationale crée déjà polémique, même si l'idée ne venait pas du double MVP en titre. Car malgré l'envie de James de bien faire, en complimentant la ville de Cleveland et sa communauté, la méthode passe mal, à raison. Il faut tout de même lui laisser que l'entièreté des bénéfices a été reversé à des associations, soit environ 6 millions de dollars. Le Boys and Girls Clubs of America en a par exemple reçu 2.5 millions.

 

21h00 aux USA et l'émission est déjà en retard, ESPN et James se faisant désirer. C'est ce moment que choisit James pour appeler les Cavaliers, leur annonçant sa décision de rejoindre la Floride et de ne pas re-signer dans la franchise qui l'a drafté. Devant plus de 13 millions de personnes au moment fatidique, le King lâche donc cette phrase si connue désormais. C'est désormais officiel, il va rejoindre le Heat aux côtés de ses deux amis.

 

 

Immédiatement, Dan Gilbert lâche une lettre insultant James de traître, de lâche, d'égoïste, d'homme sans coeur et assurant que les Cavs gagneront un titre avant lui, le tout sans jamais mentionner le nom du nouveau partant. Il sera d'ailleurs sanctionné de 100.000 dollars pour cette communication incendiaire. De plus, le propriétaire des Cavaliers va baisser le prix du graphic mural de James appartenant à sa compagnie Fathead de 99.99 dollars à 17.41 dollars, année de naissance de Benedict Arnold, général connu en Amerique pour avoir trahi les Américains et voulu livrer le fort de West Point aux Britanniques. 

 

En plus de la lettre violente de Gilbert et des diverses analyses, James se fait moquer sur twitter, nouveau réseau social dans le paysage d'internet. La haine derrière les nombreux tweets reste incroyable, mais certains préfèrent passer par l'humour : 

 

 

Les différents analystes font quant à eux le tour des plateaux pour donner leur avis sur la décision de James. De Reggie Miller à Charles Barkley, en passant par Chris Webber, tous les anciens grands joueurs critiquent la manière et/ou la décision de faire de James. 

Du côté des fans de Cleveland, la colère et la haine sont omniprésentes au point de brûler les maillots et accessoires du King. L'enfant prodigue, l'élu qui avait promis un titre à SA ville a quitté le navire pour s'en aller gagner ailleurs. C'est la guerre entre les deux parties et le retour s'annonce déjà glacial.

 

 

 

Si LeBron James pensait avoir fait le plus dur, il n'en fût rien. Dès le lendemain, la NBA implosa. Tous les journaux americains ne parlaient que de ça :

 

Le Daily News

 

Le Chicago Tribune et le Miami Herald, seul heureux.

 

Le plain Dealer et le South Florida (en minuscule sur la une du Plain Dealer: "7 ans à Cleveland, aucune bague !"

 

 

Le NYPost


Comme la veille, la haine est toujours présente et en dehors de la plus grande ville de Floride, tout le monde déteste désormais celui qui a trahi sa ville. The decision est rentré au Hall Of Shame de Cleveland, le nom de James et son image sont trainés dans la boue et il y a peu de chance de le voir un jour devenir l'un des plus grands aux yeux de tous. 

 

Pour accentuer le tout, le Heat de Miami et son nouveau trio organise une fête de bienvenue le 9 juillet où là encore, LeBron James fera des erreurs de communications qui le poursuivront. Excité par l'occasion, l'impression de narcissisme donnée exaspère au plus haut point et cela n'arrangera pas son image auprès du public, qu'il mettra des années à réparer. 

 

 

Afin d'effectuer la création de ce nouveau Big Three, le Heat et les Cavs (de la même manière que le Heat et les Raptors l'ont fait pour Chris Bosh) ont ainsi réalisé un sign and trade, permettant aux Cavaliers de ne pas repartir bredouille. Ainsi, Pat Riley contacte Dan Gilbert et son front office qui ne souhaitent pas moins que... 4 premiers picks de draft et 2 futurs échanges de picks... 

 

Evidemment le Heat refusera et la franchise réussira à monter un échange convenant aux deux parties (cliquez pour agrandir)

(En orange ce qui a été échangé contre LeBron James, en vert d'où vient la monnaie d'échange et en bleu ce qu'elle a donné)

 

Tout le monde connaît la suite. James remportera 2 titres en 4 finales, deux MVP, presque un DPOY, une place dans la légende et une pelletée de records. Malgré cela et son niveau presque inatteignable, les fans et suiveurs de la NBA mettront du temps à lui pardonner, du moins jusqu'en 2014 et son retour à Cleveland. Son premier retour à la Quicken Loans Arena, pour un match le 2 décembre 2010, aura été l'un des matchs les plus dingues de l'histoire, tant l'ambiance et le public présent étaient à son comble, pour faire baver celui qui les avait humilié en télévision nationale. Même les journalistes présents sur place assurent qu'aucun match avec une telle haine et une telle "violence" avait été vécu auparavant.

 

 

Avec le recul et malgré la manière, ce départ aura au moins pu permettre à Cleveland de se reconstruire en attendant le retour de l'enfant prodigue, reconstruction qui lui permettra d'avoir enfin un effectif digne de ce nom pour aller chercher un titre légendaire en 2016. Mais ça, c'est une autre histoire.