Stephen Curry offre au monde une piqure de rappel

Stephen Curry offre au monde une piqure de rappel

Stephen Curry - Golden State Warriors

Comme toute dynastie, celle qu’est en train de construire les Warriors contient son lot de détracteurs. Sans aucun mérite depuis l’arrivée de Kevin Durant pour ces derniers, Stephen Curry profite de la blessure de KD pour rappeler au monde qui il est vraiment : un des tous meilleurs meneurs all-time.

Cela faisait un moment que j’avais envie d’écrire ce papier, et je pense que la situation se présente bien maintenant que les Warriors de Stephen Curry viennent de sweeper Portland pour atteindre les finales NBA. Le cas Curry est aussi passionnant qu’étrange. On parle ici du déjà presque meilleur shooteur de tous les temps. Avec 2483 tirs primés en carrière, Curry devrait attendre deux saisons si tout se passe bien pour dépasser le record de Ray Allen (2973 trois points) et le devenir au moins du point de vue statistique. Et au-delà des chiffres, on parle ici d’un joueur qui a révolutionné le jeu, comme ont pu le faire des légendes de la trempe de Michael Jordan ou Dirk Nowitzki par exemple. Dans une décennie des années 2010 qui aura marqué un tournant pour la NBA, le style de jeu actuel axé sur le tir longue distance est définitivement estampillé Warriors. Et quand on voit des joueurs tirer de plus en plus aisément à 9 mètres, on sait tous que celui qui a démocratisé ceci est le chef Curry. Lorsque les Warriors en 2015-2016 sont allés chercher les 73 victoires en saison régulière, le leader de cette équipe aurait déjà dû avoir sa place parmi les plus grands.

 

Mais depuis cette fameuse campagne les gens semblent avoir oublié qui était Stephen Curry. Certes, les choses sont vite allées en sa défaveur. Un choke au match 7 des Finales pour concrétiser le comeback historique des Cavaliers, puis la signature de l’un des meilleurs joueurs actuels ont suffi à faire passer les Warriors et Stephen Curry du statut d’équipe excitante et construite autour de la draft en une superteam sans aucun mérite. Ces propos sont peut-être exagérés, mais si je les écris c’est que j’ai pu les lire plus d’une fois.

 

C’est exactement ce pourquoi je ne voulais pas voir Kevin Durant venir aux Warriors. Je redoutais justement ce genre de réactions et voir Curry redescendre dans l’estime de chacun (au même titre que Klay Thompson et Draymond Green d'ailleurs). Car Curry est un gagnant.Quand il est sur le terrain, le basket est un jeu à ses yeux mais il n’en reste pas moins déterminé à faire ce qu’il faut pour tout rafler à la fin de la journée. Les Warriors avaient l’opportunité de signer l’un des meilleurs scoreurs de tous les temps, ils auraient été idiots de s’en priver. Mais pour cela il fallait que le leader du groupe l’accepte et s’adapte à cette arrivée. C’est exactement ce qu’ont fait Curry et Steve Kerr. Fini le jeu offensif léché avec une balle constamment en mouvement avec Curry en arme offensive numéro 1, place maintenant à des isolations répétées pour laisser la place à l’arme létale qu’est Durant pour mettre le ballon dans le panier. Le jeu est moins beau mais terriblement efficace. Et ça Curry l’a très vite compris et a su s’adapter pour le bien de l’équipe qui vise désormais un three-peat.

 

Finalement, quand j’y pense, le public a oublié le génie de Stephen Curry juste à cause de son aptitude à être altruiste et à accepter de se mettre en retrait dans le jeu pour le bien de l’équipe. C’est cruel, injuste même tant il devrait avoir énormément de mérite pour ça mais c’est malheureusement comment la NBA est faite. On parle couramment des « Bulls de Michael Jordan » ou encoure des « Lakers de Magic Johnson» sans pour autant oublier les apports de Scottie Pippen ou Kareem Abdul-Jabar (entre autres) dans ces dynasties. Et dans 10 ans on parlera des « Warriors de Curry », mais à l’inverse des deux exemples précédents, cette dynastie sera mise avec la grosse astérisque de l’arrivée de l’un des meilleurs scoreurs all-time dans son prime alors que l’équipe de la baie tournait déjà à plein régime.

 

Mais en cette troisième (et probablement dernière) saison de Kevin Durant aux Warriors, les choses sont légèrement différentes. En saison régulière les Warriors ont paru moins souverains que les saisons précédentes, même si peu de gens doutaient encore qu’ils puissent passer à côté du trophée en juin. Puis arrive la confrontation contre Houston en demi-finale de conférence, la revanche de la saison dernière et pour beaucoup ce qui ressemblait à une finale avant l’heure. Lors du match 5, à 2-2 dans la série, Durant se blesse au mollet. Le verdict tombe : Golden State va devoir faire sans KD pour la fin de la série et possiblement jusqu’à la fin des playoffs. Gros coup dur et directement ce sont tous ses coéquipiers qui vont devoir augmenter leur niveau de jeu, et Curry est un peu plus sous le feu des projecteurs, lui qui réalisait jusqu’ici des playoffs corrects mais sans plus.

 

Les consignes de Kerr sont simples : Vous vous rappelez des Warriors d’avant KD ? On va refaire pareil. Klay Thompson sanctionne de loin comme à son habitude dans les grands moments, Draymond Green laisse ses tripes sur le terrain et Steph… Steph is gonna Steph comme on dit dans la langue de Shakespeare. Trois points de tous les côtés, pénétrations, cross, tout y passe. Résultat, les Dubs n’ont pas perdu un match depuis la blessure de Durant et filent vers les Finales pour une cinquième fois de suite.

 

Pourtant Curry est-il plus impressionnant depuis la blessure de KD ? On serait tenté de dire oui car il prend 7 tirs de plus par match sur ces playoffs depuis cet évènement et que cela lui ramène presque 11 points de plus (voir ci-dessous le tableau comparatif), tout ceci sans que KD soit là pour apporter une distraction supplémentaire aux défenseurs. Mais en attaque, son pourcentage à trois points est à peine passé de 38 à 40% alors que ceux aux tirs et aux lancers sont restés exactement les mêmes. Il prend plus de rebonds et fait plus de passes, mais cela coïncide avec son temps de jeu qui a augmenté.

 

Statistiques de Stephen Curry lors des playoffs 2019 (source: Basketball Reference)
PériodeFGFGAFG%3P3PA3P%FTFTAFT% 
Avant blessure de Durant7,416,4.453,69,4.384,95,2.94 
Après blessure de Durant10,523,2.455,513,8.407,58.94 

 

Et là est le point que je voulais souligner depuis le début : Stephen Curry n’a pas tant step-up son jeu que ça avec l’absence de Durant. La différence est qu’il est redevenu le leader offensif de l’équipe, que le public prête attention à comment il réagit à la situation et que les fans affectionnent plus cette équipe maintenant qu’elle semble dos au mur en vue de la conquête du triplé. Donc maintenant arrêtons de sous-estimer ce qui se passe sous nos yeux depuis 5 ans par le simple prétexte qu’une signature de free agency ne nous convient pas. Curry est un des meilleurs meneurs de tous les temps et il est en train de le rappeler à tout le monde, point barre. Il va devenir le meilleur shooteur de l’Histoire, il montre qu'il prend du plaisir en jouant, il a un QI basket au-dessus de la moyenne, il a laissé son égo de côté pour le bien de l’équipe, il reste l’emblème de l’une des équipes les plus dominantes de l’Histoire et il sait prendre les choses en main quand la situation se présente. Il ne devrait pas avoir besoin d’un coéquipier blessé pour le rappeler, mais c’est ce qu’il se passe en ce moment. 

 

 

Le cas Curry est en fin de compte l'illustration parfaite de la culture dans laquelle on vit, où le titre NBA définit énormément de choses dans l’estime du public et des analystes. Et si on doit placer les deux derniers titres des Warriors, alors oui il faut reconnaitre que ce sont loin d’être les plus beaux, et les gens à l’avenir auront tendance à baisser Curry dans le classement des meilleurs joueurs sous prétexte que ces titres étaient trop simples à remporter, comme certains ont tendance à baisser Charles Barkley ou John Stockton parce qu’ils n’ont pas de bague. Chacun son avis, mais personnellement voir un leader prêt à partager sa part du gâteau pour assouvir la domination de son équipe ne me dérange pas. Quoi qu’il en soit, profitons de revoir Steph mis en avant dans le jeu des Warriors durant ces playoffs pour nous rappeler qu'il reste un monstre, peu importe la situation qui se présente face à lui.