Entre développement et stabilité financière : La WNBA peut-elle enfin passer un cap ?

Entre développement et stabilité financière : La WNBA peut-elle enfin passer un cap ?

Lisa Borders - Seattle Storm - Skylar Diggins-Smith

La saison de WNBA vient de se terminer et, alors que les joueuses ont déjà la tête à la coupe du monde, la ligue américaine va déjà devoir commencer à réfléchir à comment améliorer de façon significative la ligue.

Cette semaine, le Storm de Seattle a remporté le titre WNBA après une saison régulière maitrisée et des playoffs à couper le souffle. Dans une période où l’on ne voit pas encore où l’hégémonie Warriors en NBA va s’arrêter, les fans de la balle orange étaient bien heureux de découvrir une ligue où 7 équipes pouvaient vraiment prétendre au titre à la fin de la saison régulière. Et cela s’est senti notamment dans les audiences TV américaines. En moyenne sur les playoffs, 305 000 américains étaient devant leur écran durant les matchs selon sportsmediawatch.com, soit une augmentation de 36% par rapport à l’an dernier, confirmant déjà les très bons résultats observés durant la saison (+38%) et le All-Star Game (+17%). D’un point de vue financier, tous les voyants sont au vert pour la WNBA que ce soit côté boutique (plus grosse progression des ventes depuis 2012 sur le WNBA Store) ou le league pass (+40% d’abonnement). Mais malgré toutes ces bonnes nouvelles, sans parler du niveau sportif global de la ligue, qui a semblé vraiment monter d’un cran cette saison, la WNBA reste encore très loin du modèle qu’est devenu la NBA en terme de marketing notamment. Quelles sont les principaux points sur lesquels la ligue féminine va devoir se pencher ?

 

Tout d’abord, la WNBA a observé cette saison une baisse d’affluences de 12% dans ses salles en saison régulière. Si ces résultats sont assez peu compréhensibles vu les résultats des audiences, il y a pour autant un modèle qui marche en WNBA et sur lequel il est possible de se baser pour relever la tête, c'est justement celui du Storm. La franchise de Seattle a depuis quelques années multiplié les partenariats avec la communauté afin d’offrir des tickets notamment aux plus jeunes. Cette méthode permet petit à petit aux habitants de la ville de découvrir une activité familiale et qui gagne de plus en plus en popularité. Si la ligue en elle-même ne peut pas faire grand chose de ce point de vue, il en va par contre des autres franchises de trouver des solutions. L’ambiance dans les salles WNBA ne peut pas être un show comme on peut le voir en NBA, mais développer une fan base ne se fait pas en jetant des t-shirts dans le public, c’est un travail qui se fait avec la ville elle-même dans un premier temps. Ceci peut également passer par les joueurs NBA qui n’hésitent pas à acheter des tickets pour la communauté comme on a pu le voir pour Deandre Ayton ou Kent Bazemore cette saison. Les solutions existent, il faut juste ne pas avoir peur de tenter de nouvelles choses pour faire en sorte que les habitants puissent s’identifier à leur équipe.

 

Il y a d’autres points sur lesquels la WNBA devra s’améliorer, même si pour l’instant ces derniers n’ont pas l’air d’influencer négativement les résultats dont nous parlions au début de cet article. Il y a par exemple le league pass, qui mériterait bien un coup de jeune, ou encore le WNBA Store sur lequel on ne peut pas trouver les maillots authentiques. A part les équipes de Seattle et Chicago, qui possèdent leur propre boutique en ligne, les autres équipes passent par le WNBA Store et ne proposent que des maillots replica qui ne sont pas identiques à ceux portés sur le terrain. Et en parlant de maillot, quel dommage de voir des maillots tels que ceux de Los Angeles ou encore Phoenix sur lesquels le nom de l’équipe n’est même pas écrit en grand. On parlait justement d’identification à une équipe, mais il est difficile pour les fans de s’approprier une équipe si cette dernière n’a pas sa propre identité visuelle sur le terrain (au-delà de la couleur du maillot).

 

Le dernier point à travailler, et de loin le plus important, reste les conditions de travail des joueuses. Trop souvent cette saison, la WNBA a fait preuve de manque de professionnalisme dans son organisation et ceci n’aide pas à attirer les fans de sport à venir regarder sur le long terme. Ce point est épineux tant il est complexe et qu’il devient de plus en plus médiatisé. Il peut être divisé en plusieurs parties entre les salaires, les conditions de déplacement, le calendrier ou le format de playoffs entre autres. Mais pour bien comprendre et commencer à trouver des solutions à tout ça, il est nécessaire de prendre du recul et de réfléchir à tout ces aspects dans leur ensemble.

 

Donc dans un premier temps, résumons. La saison régulière de WNBA dure de mi-mai jusqu’à mi-août et, pendant cette période, les 12 équipes jouent la bagatelle de 34 matchs chacune, soit un peu plus d’un match tous les trois jours. Il est actuellement impossible d’imaginer voir le championnat se dérouler sur une autre période. Trop de concurrence médiatique avec les autres sports majeurs, trop de complexité pour les franchises de louer des infrastructures telles que le Staples Center ou même de plus petites salles appartenant à des équipes NCAA. Cette période est courte car le reste de l’année la plupart des joueuses partent jouer dans les championnats européens et, cette année, elle a été encore raccourcie avec la coupe du monde se déroulant fin septembre en Espagne. Donc il faut partir du principe suivant : actuellement, le championnat WNBA ne peut pas se dérouler à une autre période et doit faire avec les contraintes économiques et du calendrier FIBA. Mais finalement, en quoi cela poserait-il un problème, lorsque l'on sait que les équipes NBA jouent sur un rythme plus soutenu avec en moyenne un match tous les deux jours en saison régulière ?

 

D’abord, il faut bien comprendre que les équipes WNBA ne possèdent pas d’avion privé et sont contraintes d’utiliser des vols commerciaux. Cela n’est pas scandaleux en soit puisque, mis à part dans les grandes ligues américaines, beaucoup d’équipes sportives professionnelles ne peuvent pas louer un avion privé et voyagent en avion commercial. Mais rien que pour ça, le jour de repos supplémentaire par match est justifié. Car non seulement cela force les équipes à s’adapter au planning des vols, mais les joueuses doivent voyager avec des sièges qui ne sont pas adaptés à leur gabarit, ce qui n’arrange pas les conditions de confort et donc la récupération lorsque les déplacements se multiplient. Ceci nous mène à des situations où, cette saison, un match a été annulé car les joueuses de Las Vegas ont dû attendre presque 24h dans un aéroport puisque leur vol vers Washington avait été annulé. La WNBA avait alors très mal géré cette affaire puisqu’elle avait décidé d’abord de reporter le match d’une heure, avant de l’annuler à peine 45 minutes avant le coup d’envoi, montrant une certaine incapacité à gérer ce genre de situation. Et ce match fut d’ailleurs annulé et non reporté, montrant le peu de flexibilité du calendrier. Quand on y prête attention en détails, le calendrier sur la saison régulière n’est pas si mal agencé que ça. Les road trips sont assez cohérents et les périodes de récupération aussi. La WNBA a par contre souvent oublié de prendre en compte que la récupération, dû au décalage horaire, est plus difficile lors de trajet de l’ouest vers l’est. La ligue doit penser à prendre ceci en considération à l’avenir mais sinon, même si ce n’est pas parfait, tout n’est pas à jeter et il n’y a nul doute que la ligue fait de son mieux pour caler le mieux possible un nombre de matchs suffisant dans la période qui lui est donnée pour jouer.

 

Quelques semaines après l’épisode Aces, lors du deuxième tour des playoffs, on a vu les joueuses des Sparks épuisées après avoir dû traverser deux fois les Etats-Unis en l’espace de trois jours. Ceci était dû au fait que les playoffs ne prennent pas en compte les conférences et que le premier match se déroulait deux jours après la fin de saison régulière. En trois jours les Sparks ont donc fait Connecticut – Los Angeles – Washington. Alors comment remédier à ce genre de situations qui a de fortes chances de se reproduire à l’avenir, faussant complètement les chances de titre de l'équipe concernée ? Retourner au système des conférences, ce qui aurait vu Chicago se qualifier avec seulement 13 victoires ? Laisser plus de repos entre les premiers tours alors que le planning est déjà serré ? Difficile de trouver une solution magique. Une chose est sûre, le format des playoffs est assez unique en son genre (détaillé ici) et surprend beaucoup. Les deux premiers tours, en un match sec, sont faits ainsi depuis la fin des conférences Est/Ouest en 2016. Avant, les demi-finales de conférence se faisaient au meilleur des trois matchs. Maintenant les deux premiers tours sont en un match sec, contiennent des têtes de série n’entrant en jeu qu’en demi-finale, permettant aux huit meilleures équipes de la ligue d’être en playoffs en essayant de ne pas surcharger de déplacements. Si la première condition est satisfaite, la deuxième l’est visiblement moins et n’est probablement pas la meilleure d’un point de vue équité sportive. Une solution qui parait évidente serait peut-être de repasser à un tableau classique avec toutes les équipes jouant le premier tour (1er contre 8ème, 2ème contre 7ème, etc.) en un match sec. Cette solution permettrait de voir toutes les équipes rentrer en playoffs au même moment, et surtout permettrait de disputer l’équivalent des deux premiers tours actuels en une journée, ce qui réduirait les déplacements et augmenterait la période de repos entre la fin de saison régulière et le début des playoffs.

 

Et finalement nous arrivons au point le plus important, celui par lequel beaucoup de choses peuvent basculer pour l’image de la ligue. En fin de saison, Skylar Diggins-Smith a haussé le ton sur un sujet déjà sensible, à savoir les salaires. Pour beaucoup, il semblerait normal que la répartition (en pourcentage) des revenus entre les joueurs et la ligue soit identique chez les hommes en NBA et chez les femmes en WNBA, mais ce n’est pas du tout le cas. La joueuse des Wings n’est pas la première à en parler, mais c’est elle qui a tenu les propos les propos les plus forts de sorte à se faire entendre. Et ça a marché puisque son message a fait beaucoup de bruit et elle a notamment reçu le soutien d’Isaiah Thomas ou encore de Mark Cuban. En gros, les joueuses touchent 22% des revenus de la ligue contre 50% chez les hommes en NBA. En WNBA, elles ne touchent pas de pourcentage sur les ventes de maillots et, comme nous en parlions, doivent voyager en vol commercial. Beaucoup de choses sont différentes entre les deux ligues, mais ce sont les points principaux qui sont ressortis cette saison. Pourquoi un tel écart ? La réponse est simple : la WNBA ne génère pas encore assez d'argent. En 2015, James Dolan annonçait que la franchise du Liberty n’avait pas gagné d’argent et à l’époque, c’était encore le cas pour beaucoup de franchises. Depuis, les comptes vont légèrement mieux et la WNBA commence enfin à être rentable après 20 ans d’investissements. Et il faut bien comprendre une chose : tout ceci est normal. La NBA compte 50 années d’existence de plus et la WNBA se porte actuellement mieux que la ligue masculine au même âge. Après 20 ans, la NBA avait 10 équipes et a connu 8 relocalisations. En 2018, la WNBA a 12 équipes, connu 6 relocalisations et possède de meilleures affluences dans ses salles (même s’il est peu révélateur de comparer les affluences à deux générations d’écart). Et ça Lisa Borders, présidente de la WNBA, en était déjà bien consciente en 2017.

 

Tout le monde aimerait que ça aille plus vite, je pense, mais ça ne fait que 21 ans. (…) Ce n’est pas long. Notre grand frère, la NBA, est 50 ans plus vieux que nous, soit deux générations. Ces ligues sportives ont eu beaucoup plus de temps derrière elles pour vendre des équipes, faire des expansions, et passer par toutes les étapes d’un business en développement.

 

La ligue est jeune, il faut juste lui laisser du temps pour qu’elle trouve de la stabilité. Elle en est d’ailleurs sur la bonne voie puisque le nombre d’équipes dans la ligue n’a pas bougé depuis 2010. Quand elle aura cette stabilité, qu’elle en aura fini avec des relocalisations quasi constantes, aura construit des vrais fan base comme on en a vu naitre à Seattle, elle finira par gagner assez d’argent pour réfléchir au problème des salaires. Et en quoi ces salaires sont un point essentiel du problème ? Déjà parce que la WNBA joue une bonne partie de sa communication sur l’égalité, sur le fait que le basket féminin est avant tout du basket. C’est une ligue qui a pour vocation de devenir une source d’inspiration pour les filles de nos jours. Donc ne serait-ce que pour le message qu’elle véhicule, montrer que les femmes ont les mêmes droits que les hommes aussi dans le sport serait un énorme plus pour la crédibilité de la ligue aux yeux du public. Le CBA actuel est valable jusqu'en 2021, mais la ligue ou les joueuses ont jusqu'au 31 octobre de cette année pour décider de rompre le contrat après la saison 2019. Autant dire que s'il est encore peu imaginable de voir des revenus partagés à hauteur de 50%, nous allons déjà vite savoir si nous pouvons observer un rapide progrès dans ce domaine. Car si la ligue continue à se développer et se montre rapidement favorable à l'idée de payer plus ses joueuses, c'est que les perspectives d'avenir sont bonnes.

 

Et puis, chose qui peut sembler improbable quand on ne connait que la NBA, c’est que les joueuses sont bien mieux payées en Europe qu’en WNBA. A titre d’exemple, Diana Taurasi gagnait en 2015 1,5 millions de dollars avec Ekaterinburg qui l’a même payé pour ne pas venir jouer en WNBA durant cet été-là. En 2018, elle a touché 117 500 dollars avec le Phoenix Mercury, un gouffre entre les deux chèques. Elever les salaires à hauteur de 50% des revenus ne ferait que légèrement diminuer cet écart vu les revenus actuels de la ligue, mais pourrait permettre d’éviter de revoir des figures de la ligue s’abstenir de venir l’été car leur club en Europe leur offre un meilleur salaire pour prendre des vacances. Et ceci ne serait-il pas suffisant pour commencer à mettre un peu de poids dans les décisions de la FIBA, qui jusque-là a toujours calé ses compétitions internationales en fonction de ce qui se passait en Europe, et non outre-Atlantique ? Cela ne donnerait-il pas aux joueuses plus de considération pour clamer de meilleures conditions de travail dans le CBA? On en est encore loin tant les budgets des grands clubs européens sont astronomiques comparés à ceux des équipes WNBA et, on le répète, il n’est pas concevable économiquement pour la ligue d’espérer survivre en jouant entre septembre et avril. Mais obtenir une répartition des salaires voudrait dire une chose, c’est que la ligue se porte bien. C’est une marque symbolique qui permettrait de donner une image plus professionnelle ne serait-ce qu’aux yeux des américains.

 

La WNBA ne pourra pas connaitre une croissance fulgurante du jour au lendemain, et son influence comparée à la NBA ne pourra pas lui permettre de jouer sur une période de 8 mois comme un championnat classique. Non. Mais l’organisation de cette dernière s’améliore au fil des années et il faut encore laisser un peu de temps à la WNBA avant de vraiment savoir où elle va. La bonne nouvelle c’est que la marge de progression est encore grande, que ce soit sur le court ou sur le long terme, surtout au vu de la communication et du marketing. L'autre bonne nouvelle, c'est que son "grand frère", la NBA, est un modèle qui marche et dont la WNBA peut s'inspirer pour continuer à se développer. La mauvaise, c’est que tout va très vite et qu’elle ne peut pas se contenter d’une seule saison avec de bons résultats. Il faut transformer l'essai, et plusieurs fois même.