Show must go on : l'immense défi de la NBA face au huis-clos

Alors que les choses se sont précisées pour la fin de saison NBA sur le plan sportif, le plus dur reste à venir pour la NBA. Car si les joueurs sont prêts à en découdre, il va falloir mettre les moyens pour assurer le spectacle pour les téléspectateurs.

C’est une image que l’on n’aurait jamais pu croire voir il y a quelques mois. Nous sommes le 15 septembre 2020 et pour son troisième match de playoffs Giannis Antetokounmpo, balle en main, s’apprête à partir en contre-attaque sur le parquet du Magic devant… quelques dizaines de personnes à peine. Le parquet est pourtant bien estampillé du logo du Magic, nous nous situons bien à quelques encablures du site de lancement de la NASA mais non, nous ne sommes pas à l’Amway Center et oui, les tribunes sont bien vides, à l’exception de quelques membres des familles de joueurs. Cette image, bien qu’encore imaginaire pour le seul fait que la qualification en playoffs du Magic n’est pas encore assurée, est pour le reste bien proche de ce que nous vivrons d’ici quelques semaines. Mais comment la NBA peut-elle faire en sorte que le spectacle soit au rendez-vous dans un contexte pareil ?

 

 

Tout d’abord, comment en sommes-nous arriver là? Pourquoi chez Mickey, sans personnes dans les tribunes ? Coronavirus oblige, et en y réfléchissant bien, il faut croire que la NBA n’avait pas d’autres choix si elle voulait finir sa saison: elle devait se résoudre à évoluer dans un environnement clos, à l’écart du reste de la population pour éviter tout risque de contamination. L’ESPN Wide World of Sports Complex de Walt Disney World n’était peut-être pas le premier endroit auquel la NBA avait pensé, mais il s’est vite présenté comme la solution idéale pour ça. Sur une surface de 89 hectares, avec 18 hôtels à disposition (pour 18 équipes à accueillir), trois salles pouvant être mises en configuration basket et un personnel habitué aux grosses affluences qui n’aura pas de mal à s’occuper de tout ce beau monde, les joueurs et familles de la NBA ne seront pas à l’étroit. D’un point de vue logistique donc, la NBA n’a pas trop à s’en faire puisqu’une fois tout le monde sur place, le seul challenge sera de faire cohabiter tout le monde sans entraver les règles de distanciations sociales. Ceci reste assez « facile » par rapport à d’habitude où des franchises doivent bouger de ville en ville sans arrêt. Dans une moindre mesure, le basket français réussit déjà ce challenge chaque année en assurant une Leader’s Cup en plein milieu de saison à Disneyland Paris. Certes, il n’y a que huit équipes qui viennent disputer cette compétition mais il y a en comparaison moins d’équipements et les délais sont plus courts. Vu qu’Adam Silver s’inspire régulièrement de ce qui se fait en Europe pour faire évoluer son business, comme notamment dans ces intentions d’instaurer un tournoi en plein milieu de la saison, il n’est pas impossible qu’il se soit déjà renseigné auprès de sa filière en France pour avoir des tips qui l’aideraient dans cette première étape du processus.

 

L’autre différence avec la Leader’s Cup, c’est que des équipes se sont battues bec et ongles pour obtenir l’avantage du terrain durant les playoffs, là où la compétition française se fait toujours en terrain neutre depuis son partenariat avec Disney en 2013. Par les différentes rumeurs qui sont sorties, on voit que la ligue a déjà proposé plusieurs idées pour compenser la perte de l’avantage du terrain. Si changer le parquet aux couleurs de l’équipe qui reçoit peut-être un début de piste, pourquoi ne pas également installer les bannières qui sont aux plafonds des différentes salles ? Comme pour le parquet, ceci n’aiderait pas vraiment les équipes mais il faut bien faire ce qu’on peut avec ce qu’on a. Si les rassemblements de personnes dans certains Etats sont réautorisés, on peut également imaginer avoir des images de groupes de fans diffusés dans la salle comme avait fait le PSG lors de son dernier match de Ligue des Champions face à Dortmund. Une équipe comme les Raptors serait inévitablement transcendée par des images du Jurassic Park de Toronto diffusées dans la salle. Depuis des années les franchises tendent à se rapprocher de plus en plus de leurs fans, et ce sera un beau révélateur de voir si elles sauront être imaginatives pour rapprocher les joueurs des fans malgré la distance. Il y aura sûrement des innovations faites par les équipes de communication lors des présentations d’avant-match par exemple. Lors de cet exercice 2020, toute nouveauté peut-être une idée bonne à prendre.

 

Walt Disney World offre donc trois salles pour jouer au basket, mais seulement deux devraient être utilisées pour les matchs, la troisième (Visa Center) semblant plus adaptée pour être un centre d’entrainement avec plusieurs terrains en parallèle dans un très grand espace. Reste donc la HP Fieldhouse et The Arena. Nous aurions bien aimé voir ce que donne un match de basket habituellement dans ces deux salles pour nous faire une idée, mais malheureusement la deuxième est surtout utilisée pour les compétitions de gymnastique. Il va donc falloir commencer de presque zéro pour celle-ci. En revanche, la HP Fieldhouse accueille chaque année l’AdvoCare Invitational Tournament, un tournoi de basket universitaire se déroulant sur le weekend de Thanksgiving. Nous ne trouvons pas beaucoup de matchs sur internet, mais au moins la télévision (et notamment ESPN, qui diffuse le tournoi) part avec plus d’informations sur comment elle pourra filmer du basket dans cette salle.

 

 

 

Il y a une différence entre diffuser un tournoi très peu suivi se déroulant sur un weekend, et diffuser la compétition sportive qui va probablement amener le plus de monde devant sa télévision sur cette période. Si la salle sonne un peu creux lors du tournoi universitaire dont nous parlons, la NBA ne veut pas de ça, huis-clos ou non. Shams Sharrania de The Athletic a donc révélé que la ligue allait créer des ambiances sonores en partenariat avec NBA2K pour recréer les ambiances des salles NBA. C’est quelque chose que l’on voit déjà en Bundesliga et qui rend un résultat assez satisfaisant depuis sa télévision. Problème, si dans un stade ouvert le son ne résonne pas beaucoup, ce n’est pas la même chose dans une salle fermée. Mathématiquement, l’indice de réverbération d’un siège vide est trois fois plus élevé que celui d’une personne assise. Comprenez donc que le son produit mettra trois fois plus de temps à s’estomper que d’habitude. La ligue possède certainement de très bons ingénieurs du son et ce ne sera pas un problème pour eux, mais c’est le genre de petits détails dont il faut parler pour bien faire prendre conscience de la complexité de ce qui attend la NBA ne serait-ce que technologiquement. La ligue va probablement aussi faire le choix d’accentuer les bruits venant du parquet, que ce soit les impacts physiques ou les discussions entre les joueurs, car le moindre trashtalking capté par les micros aurait de quoi faire parler dans les médias.

 

 

Mais il n’y a pas que les oreilles des téléspectateurs qui devront être satisfaites, comme ce sont les playoffs il faudra aussi en mettre plein les yeux. Là où d’habitude la télévision est rodée pour filmer le spectacle qui se déroule sous leurs yeux, il va falloir cette fois réussir à mettre en lumière les performances des joueurs autrement. La NBA a toujours été en avance sur les autres compétitions majeures en terme de médiatisation de son contenu, et là encore la ligue devra faire fort pour donner un rendu digne des playoffs. Les angles de caméra seront très importants, avec probablement moins de contre-plongée qui montreraient inévitablement des tribunes vides, mais la réalisation d’un match ne dépend pas que des angles de caméra. Le rythme des plans, l’évolution de la réalisation sera important. Car filmer du sport ne s’arrête pas simplement à capter le bon moment dans le cadre de la caméra. Il s’agit également de savoir quel angle privilégier, dans quel moment prioriser le direct ou le replay… C’est toute une panoplie de détails qui doivent être maitrisés, aussi bien par les commentateurs que par le réalisateur, pour obtenir un tel résultat qui nous semble banal devant notre écran. De manière assez surprenante, on trouve assez peu d’études faisant le lien entre la réalisation au cinéma et dans le sport. Mais pour vous donner une idée du lien étroit qu’il y a entre ces deux mondes, nous vous invitons à lire le deuxième numéro de la Revue du cinéma-club universitaire 2018. L’un des passages les plus intéressants est le comparatif fait entre un match de tennis et un duel de Western.

 

D’autre part, le sport a emprunté au cinéma la technique du champ-contrechamp, soit l’enregistrement d’un plan d’un point de vue donné, puis d’un second plan du point de vue opposé. Ainsi en tennis, avant un engagement, on filme coup sur coup le joueur qui s’apprête à lancer la balle et celui qui se prépare à la recevoir. Ce procédé instaure une tension que l’on retrouve dans les westerns qui en font souvent usage lors de duels au pistolet.

 

Des détails on vous dit, mais qui servent inévitablement à amplifier la beauté de tout sport devant nos écrans et qui vont être d’autant plus importants dans le contexte où se dérouleront les matchs. Dans le basket, lors des moments chauds, le public a un énorme impact dans la façon dont nous vivons un instant et donc de la même manière, après un gros shoot en fin de match de l’équipe à domicile, vous pouvez être sûr que la caméra centrale (qui a filmé l’action) va garder un large champ de vision pour d’abord capter la réaction instantanée de la foule, avant d’ensuite mettre les gros plans sur les joueurs. D’ailleurs, ceci peut fonctionner aussi pour un shoot qui climatise une salle. C’est un procédé facile qui permet de parfaitement retranscrire l’ambiance de la salle tout en laissant une seconde aux autres caméras pour filmer les joueurs. L’exemple le plus explicite est de cette mécanique est probablement le shoot de Damian Lillard face à Houston en 2014. Et c’est probablement ce genre de procédés que l’on ne verra probablement pas à partir d’août, et on peut penser qu’à la place la caméra resserrera son cadre sur terrain, que ce soit sur les joueurs vainqueurs ou les vaincus pour capter leur réaction à eux.

 

 

Une idée qui va peut-être inspirer la NBA serait d’atténuer par quelconque moyen la lumière projetée sur les tribunes. Nous en avions déjà vu un exemple lors du Final Four de l’Euroleague se déroulant à Milan où les tribunes étaient plongées dans le noir, captant toute l’attention du spectateur sur le parquet. Un aspect assez osé pour un Final Four mais qui empêchait aussi de voir les supporters, ce qui est bien dommage en Euroleague quand on reçoit dans une salle des supporters du Maccabi Tel-Aviv par exemple. D'ailleurs, cette configuration n'avait pas été conservé pour la finale. Alors que pour ce cas précis, cacher les tribunes et installer une ambiance sonore pourrait donner l’impression aux personnes devant l’écran que la salle est pleine, bien que les téléspectateurs auront sûrement besoin d’un temps d’adaptation pour digérer le fait de ne voir que le parquet.

 

 

Il y a un aspect qui n’est pas abordé dans la Revue du cinéma-club universitaire, et c’est bien normal car très peu présent dans le sport, c’est le huis-clos. Problème, c’est exactement ce qui nous intéresse dans ce cas précis. Mais la notion de huis-clos cinématographique existe, il s’agit d’une longue scène voire tout un film se déroulant dans un seul et même lieu fermé, souvent dans un espace restreint, avec aucun acteur ne sortant ou entrant du dit lieu (définition très approximative pour un tel style cinématographique bien évidemment). Avec une telle définition, on peut ne pas vraiment voir le rapport avec le huis-clos dans le sport, mais en se penchant sur l’aspect scénaristique on peut penser à des pistes pour embellir l’histoire de cette saison. Car il ne fait nul doute que la télévision va vouloir créer des histoires autour des différents acteurs des playoffs pour intéresser au maximum le public, elle le faisait bien déjà avant. 2014 était l’année de la revanche pour les Spurs après le traumatisme de 2013, les saisons de LeBron James aux Cavaliers étaient scénarisés comme l’éternel combat du Roi pour l’honneur de sa terre natale, la campagne de playoffs 2019 était comme les 16 travaux de Kawhi Leonard vers la rédemption et la consécration pour tout un pays. Et pour 2020, avant l’arrêt de la saison et de beaucoup de choses même à travers le monde, le fil conducteur aurait pu être la conquête du Graal par les Lakers en l’honneur de Kobe Bryant.

 

Une bonne première approche du huis-clos cinématographique est apportée par Jean-François Hamel dans le papier De l’espace et de son potentiel dramatique. Même si les points qui y sont abordés sont très spécifiques au cinéma et donc pas vraiment transposables au cas de la NBA, d’autant plus que la ligue voudra combler le vide des tribunes (notamment au travers des ambiances sonores 2K comme nous le disions plus tôt), il n’empêche que la finalité, le ressenti créé à travers l’écran sera similaire. Il poussera le spectateur à se concentrer vers le personnage plutôt qu’à la scène en elle-même. Fini les plans avec les joueurs jouant devant tout un public, qui le transcendera ou au contraire le tirera vers le bas. Le choix sera de faire des plans plus resserrés sur les joueurs pour éviter de montrer les tribunes vides, et inévitablement l’accent sera porté sur la solitude des joueurs dans ces moments cruciaux, sur l’affrontement avec l’adversaire direct ou avec eux-mêmes plutôt qu’au caractère épique qu’il y a à jouer devant 15000 personnes. Et ces ressentis, bien différents de ce que l’on peut retrouver habituellement chaque année aux mois de mai et juin, vont inévitablement influencer sur la story qui accompagnera ces playoffs et la télévision n’aura d’autre choix que de s’adapter à ça pour attirer le spectateur. Un très bon exemple qui illustrerait tout ça est tombé tout récemment. En bonus du documentaire The Last Dance, ESPN sorti des images en HD du dernier match de Michael Jordan avec les Bulls. Sur ce match, les plans sont inévitablement plus resserés sur Jordan, et même en général, on voit rarement au-delà de la troisième rangée du public. Cela donne un rendu très cinématographique à ce match, avec comme fil conducteur le numéro 23 des Bulls. Il est parfois frustrant de ne pas voir tous les joueurs sur l'écran, mais c'est une façon différente de vivre le match. Car en revanche on ressent bien la souffrance de Scottie Pippen pour son dos par exemple. Certes le résultat est loin d'être du direct et a été vu, revu et ajusté en post-production, mais c'est un rendu avec seulement une poignée de caméra, bien loin des moyens dont disposera la télé cette année finalement.

 

 

Une chose est sûre : cette fin de saison sera unique en son genre. Si l’on peut éprouver du scepticisme quand à la qualité du spectacle proposé, il faut peut-être voir ça comme un laboratoire où la ligue, les équipes, les média vont devoir faire preuve d’une grande capacité d’adaptation pour capter notre attention dans un tel contexte. Cela permettra d’essayer de nouvelles choses tout en ayant conscience que le risque de se planter est présent, et il faudra savoir faire un bilan rationnel de ce qui a marché, et ce qui n’a pas marché. Pour la première fois depuis bien longtemps, la sphère NBA plonge totalement dans l’inconnu malgré elle, reste à savoir si ce sera pour le meilleur ou pour le pire.