Al Jefferson, une vie en chansons

Al Jefferson : un style unique dans un corps à part. Explication en quatre chansons.

Vous vous rappelez avoir vu les joueurs NBA porter des t-shirts avec l’inscription « BHM » tout au long de février ? Il s’agit d’une référence au Black History Month, période pendant laquelle les Etats-Unis rendent hommage aux Afro-Américains qui ont fait leur histoire. Dans la foulée de cet évènement, nous vous proposons de découvrir en même temps un joueur et quelques pépites de cette culture US, à travers quelques standards de la musique noire.

Le joueur en question est Al Jefferson, et il a en lui quelque chose d’unique. Dans une époque où on ne parle plus que de space and pace (espace et vitesse), il est le vestige d’un temps où la taille et le poids importaient plus. Au-delà de son jeu, Jefferson possède une personnalité atypique et, admettons-le, attachante. Voici son portrait en quatre chansons.

 

Plus qu’une chanson, c’est un cri, lancé par l’inoubliable Nina Simone, l’une des plus grandes voix du jazz. Sorti en 1970, à l’issue de la campagne pour les droits civiques, il affirmait que les noirs américains pouvaient, en toutes circonstances, marcher la tête haute. Al Jefferson est né quinze ans plus tard dans le Mississippi, berceau de ce mouvement de lutte contre la ségrégation raciale. Enregistré à l’état civil sous le nom d’Albus Riccardo Jefferson, il grandit dans la petite bourgade de Prentiss, 1500 âmes. C’est là qu’il fait ses premiers pas sur un parquet. Et quels pas ! Sous les couleurs de son lycée, Jefferson devient l’un des prospects les plus en vue de tout le pays. Preuve de sa réputation grandissante, il est sélectionné dans l’équipe nationale junior, puis est invité à participer à un summer camp animé par Michael Jordan. Il en gardera un souvenir ému, notamment après avoir été servi par His Airness himself sur un alley-hoop lors d’un match.


Bien sûr, les facs se bousculent au portillon pour recruter un tel jeeune talent, et le cœur de celui qu’on surnomme déjà Big Al penche pour l’université d’Arkansas. Pour sa dernière année au lycée, Jefferson enregistre des moyennes stratosphériques : 42,6 points 18 rebonds et 7 contres par match. On en salive déjà sur le campus d’Arkansas. Mais forcément, la NBA lui lance aussi des regards langoureux, puisque des scouts pro assistent à chacun de ses matchs. Jefferson finit par craquer et se présente à la draft 2004.

 

“Now it’s time to prove myself that I’m a man in this league”

C'est ce que déclare Jefferson lorsque le patron de la NBA, David Stern, annonce que les Celtics le choisissent à la quinzième position. 

Pas facile à l'époque de faire ses preuves à un poste encombré, où règnent encore certains pivots hérités de l’âge d’or du secteur intérieur : Shaquille O'Neal bien sûr, mais aussi Alonzo Mourning et Tim Duncan au sommet de son art. Jefferson s’accroche et signe une année rookie décente, à défaut d’être transcendante, avec 6,7 points, 4,4 rebonds et 1 contre en 15 minutes de jeu. Lors de ses trois saisons à Boston, il ne cesse de progresser et devient rapidement un intérieur fiable capable de scorer et prendre des rebonds. Minnesota repère ce talent encore à l'état brut, et à l’été 2007, dans l’échange qui fait venir Kevin Garnett aux Celtics, les Wolves exigent Jefferson dans le deal

Désormais, Jefferson a un statut de leader et la tâche délicate de succéder, poste pour poste, au meilleur joueur de l’histoire de sa nouvelle franchise. Pas évident, mais il s’en sort, au moins sur le plan statistique, en s’affirmant comme un « 20-10 », un de ces joueurs qui alignent les double-doubles. Son jeu au poste devient l’un des plus performants parmi ses pairs. Tout d’abord, il utilise à merveille sa carrure : 2m08 pour 130 kilos, ça prend de la place, c’est dense et difficile à bouger. En attaque, il peut ainsi faire écran entre l’adversaire et le ballon. Par ailleurs, il a une excellente technique balle en main : il dispose d’un arsenal de feintes qui font immanquablement sortir le défenseur de son short, accompagnées d'un petit jump hook assassin.
De la même manière, il utilise sa corpulence pour se placer au rebond, ce qui lui permet de compenser les centimètres qui lui manquent face aux pivots adverses et sa détente pachydermique. Reste un point faible, sa défense : dans ce domaine, le manque de mobilité latérale pénalise Jefferson, notamment face à des joueurs beaucoup plus vifs que lui. C’est probablement ce défaut qui sépare Big Al des grands pivots, efficaces des deux côtés du parquet.

 

Soyons honnête : quand Marvin Gaye explique qu’il plane dans des ciels amicaux, il évoque plutôt des paradis artificiels que des lieux bien réels. Toutefois, on ose le parallèle avec Al Jefferson qui, pour sa part, semble s’épanouir dans les équipes moins exposées de la ligue, ces small markets, comme disent les Américains. Ainsi, il perce à Minnesota, mais les Timberwolves deviennent une des pires équipes de la ligue et cumule, en quatre ans, un bilan de 85 victoires pour 243 défaites. Il est ensuite envoyé au Jazz d’Utah, où son association avec Paul Millsap à l’intérieur permettront à la franchise de Salt Lake City d’atteindre les playoffs en 2012, sans toutefois y briller. Ce n’est que la deuxième fois de sa carrière que Jefferson dispute des matchs de phase finale, ce qui est toujours plus que Kevin Love à ce jour... À l’échéance de son contrat l’été dernier, le front office d’Utah préfére miser sur la jeunesse d’Enes Kanter et Derrick Favors, laissant donc partir Al Jefferson qui se retrouve sur le marché des free agents. Pas de New York, LA ou Chicago pour lui, c’est Charlotte qui veut le faire venir pour encadrer ses jeunes et apporter un leadership technique sur le terrain, notamment dans la raquette, où les Bobcats en manque cruellement.

 

Reprenant en 1967 une chanson écrite deux ans plus tôt par Otis Redding, Aretha Franklin affirme qu’elle mérite le respect, montrant ainsi la confiance qu’elle a en elle-même et en ses capacités. C’est exactement le refrain qu’Al Jefferson pourrait reprendre, et il n’en est pas loin quand il déclare récemment :

« Je suis difficile à tenir quand je suis en forme. »

Or, après un petit temps d’adaptation, Jefferson est effectivement intenable : il est passé de 16,6 points et 10 rebonds de moyenne pour les 28 premiers matchs à 26,1 et 11,1 pour les 23 suivants. Cela dit, les chiffres les plus parlants sont ceux-ci : avec 33 victoires pour 36 défaites au 20 mars, les Bobcats sont septièmes à l’Est et donc en bonne voie pour participer à leurs premiers playoffs depuis 2009.  Ils s’appuient notamment sur une défense suffocante, mise en place par leur nouveau head coach, Steve Clifford. Même Al Jefferson s’y est mis, bénéficiant de l’aide particulière d’un assistant de Clifford, le hall of famer Patrick Ewing. Sous la houlette de l’ancien dream teamer (la vraie, celle de 1992), Jefferson se montre de plus en plus impliqué dans ce secteur de jeu. Cela suffira-t-il à transformer les Bobcats en épouvantails lors des playoffs ? Certainement pas, et ils se feront manger par le Heat en quatre ou cinq rencontres. Mais nous aurons le plaisir de voir Al Jefferson démontrer l’étendue de son talent devant une audience nationale, qui pourra constater que oui, les pivots à l’ancienne sont toujours là : la preuve vivante joue à Charlotte et porte le numéro 25.